Actualités : juin -août 2015
Les pages ci-dessous doivent beaucoup à d’autres que je remercie ici. Mais, évidemment, elles n’engagent que ma seule responsabilité. Ce texte a été terminé le 4 septembre 2015. Pour les événements intervenus depuis, certainement nombreux, je vous renvoie au site de notre association France-Islande et à celui de l’Ambassade d’Islande en France.
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Les mois passés ont été décrits ici comme des mois de bouillonnements : montée des Pirates, passage en force du gouvernement à propos de la négociation d’adhésion à l’UE, et, plus récemment, grèves pour des revendications apparemment irréalistes, hésitations autour de la levée du contrôle des changes… Et voici que le mois de juin paraît celui des solutions. Sur le « front social » : les nombreux accords dans le privé comme dans le public permettent d’écarter la menace d’une grève générale. Pour ce qui concerne la levée du contrôle des changes, le gouvernement annonce un plan qui est salué de toutes parts pour sa qualité. Mais pour calmer de justesse la fronde sociale, il doit accepter des concessions politiquement douloureuses, coûteuses et évidemment non inscrites au budget. Pourra-t-il les financer avec la taxe qu’il veut imposer pour lever le contrôle des capitaux ? Beaucoup de voix s’élèvent, notamment la Banque Centrale, pour crier au risque de relance de l’inflation… D’ailleurs, l’incendie est-il vraiment éteint ?
La levée du contrôle des changes :
Et d’abord pourquoi a-t-on instauré ce contrôle ? Dans les années précédant la crise de 2008, un certain nombre de fonds – fonds souverains notamment – spéculent sur la monnaie islandaise sans que les autorités islandaises s’en émeuvent, heureuses de voir la couronne objet de tant de sollicitude. Ce sont ainsi, au moment de la crise, environ 600 milliards d’Ikr (soit 4.2 milliards d’euros – 42% du PNB islandais d’alors) de Glacier bonds libellés en Ikr que détiennent des opérateurs étrangers et dont il faut à tout prix éviter la sortie sous peine de voir la couronne chuter plus encore. Un contrôle des changes drastique est décidé avec l’approbation du FMI. La situation devient plus difficile encore à mesure que les liquidateurs des trois banques en faillite parviennent avec un réel succès à réaliser leurs actifs. Ce sont 900 milliards d’Ikr, détenues tant par des résidents islandais que par des non-résidents, qui viennent s’ajouter aux avoirs évoqués précédemment mais réduits entre temps de moitié à l’occasion de négociations avec la Banque Centrale, soit au total 1200 milliards d’Ikr, plus de 8 milliards € au cours actuel.
L’essentiel du plan annoncé et voté le 7 juin consiste à encadrer très étroitement la sortie de ces sommes gigantesques par des accords avec les liquidateurs des anciennes banques, ou à défaut les soumettre à une « taxe de stabilité » fixée à 39% de leurs actifs.
La taxe de stabilité devrait apporter au Trésor islandais 640 milliards d’Ikr (4.3 milliards d’€). Quels que soient les choix des opérateurs, ces mesures devraient selon leurs promoteurs suffisamment alléger la charge sur les marchés pour que le cours de la monnaie soit maîtrisé.
Il y a bien sur débat autour de l’utilisation de ces milliards d’Ikr (1/3 du PNB !). Construction du nouvel hôpital, souhaitent les cigales ; résorption de la dette publique rétorquent les fourmis, dont évidemment le Président de la Banque Centrale, très inquiet pour le niveau des prix…
Et certains se distinguent en faisant remarquer que ce plan n’apporte aucune solution à la fragilité de la monnaie, qui reste exposée à un retour au contrôle des changes en cas de turbulences.
Actualité sociale
Ces derniers mois, pendant lesquels devaient être renégociés une majorité d’accords salariaux, étaient lourds de menaces sociales tant les organisations de salariés paraissaient prêtes à aller jusqu’au bout de revendications jugées irréalistes par leurs interlocuteurs. Toutes ces revendications devaient confluer en une grève générale en juin. Il était clair que l’objectif était de faire plier un gouvernement jugé sourd et aveugle. Celui-ci finit par céder et prend fin mai des mesures susceptibles de faciliter les négociations, telles qu’une réforme de l’impôt sur le revenu pour alléger la charge sur les bas revenus, ou, pour ce qui concerne le logement, des actions pour réduire les coûts de construction, et des aides à la location pour les revenus les plus modestes.
Le signal permet un lent dégel de la situation. Le 29 mai, la fédération des salariés du commerce et d’autres fédérations qui se sont jointes à elle signent un accord qui concerne 70000 salariés et sera approuvé ultérieurement par environ 70% d’entre eux. Les augmentations sont significatives notamment pour les bas salaires puisque le minimum sera porté à 300000 Ikr (2000€) au 1er mai 2018 (aujourd’hui 230000 Ikr, soit +30%), alors que des salaires de 550000 Ikr n’augmenteront « que » de 90000 IKr (+16.4%).
Cet accord fait école… Les plus réticents sont dans le privé les techniciens et ouvriers de l’industrie électrique et les salariés de la restauration, dans le public les infirmières issues de l’Université. Les premiers signent après de longues négociations un accord proche des précédents. La situation est beaucoup plus dure du côté des infirmières de l’Hôpital National. Dans un secteur en sous-effectif à la suite des économies décidées par le gouvernement, la grève se fait immédiatement sentir. Mais les infirmières restent sourdes aux appels. S’agissant du secteur public le gouvernement peut faire voter une loi de réquisition, ce qu’il se décide à faire après beaucoup d’hésitations le 12 juin : la grève est interdite et les parties ont jusqu’au 1er juillet pour trouver un accord, sinon il appartiendra à un tribunal arbitral de trancher. Pendant que 250 infirmières, soit 1/4 d’entre elles, démissionnent, la négociation reprend et se conclut par un accord signé le 23 juin, jugé préférable par les négociateurs à l’arbitrage du tribunal. Les infirmières recevront une augmentation de 18.6% sur les quatre années à venir. Mais l’accord ne semble pas satisfaire les intéressées. Le contentieux est en cours de jugement.
Actualité politique
Malgré le gros effort de communication autour du projet de lever du contrôle des changes, qualifié par un Premier Ministre toujours prêt à l’autopromotion comme le plus ambitieux de toute l’histoire économique de l’île, les sondages vibrent peu. Le gouvernement progresse de 31.4% (mai 2015) à 33.2% (4 août 2015) au profit du Parti de l’Indépendance, 23.1% (21.2 en mai), comme du Parti du Progrès : 12.2% (11.3% en mai). Dans l’opposition le Parti Pirate se stabilise autour de 35% et continue de représenter à lui tout seul la même audience que le gouvernement. Les autres partis bougent peu : Alliance social démocrate : 12.2% (11.8 en mai), la Gauche Verte : 10.2% (11.1en mai). Seul Avenir Radieux poursuit sa descente aux enfers (4.4%) et n’aurait donc plus de député alors qu’il en a 6 aujourd’hui, ce qui devrait entraîner le départ de l’un de ses fondateurs Guðmundur Steingrímsson.
Le 17 juin, jour de fête nationale, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, Premier Ministre, est conspué pendant son traditionnel discours prononcé au pied de la statue de Jón Sigurðsson, héros national dont le 17 juin est l’anniversaire de naissance. Personne n’entend que « nous célébrons aujourd’hui et nous réjouissons d’être membres d’une grande famille avec ses diversités. Ce jour nous appelle à l’unité, il nous rappelle que nous sommes une communauté avec une histoire et une culture communes, une communauté dont l’unité est source d’engagement et de réussite ».
Actualité internationale
L’été est marqué par trois événements :
Relations franco-islandaises : la visite de Ségolène Royal
Depuis quelques années les relations entre France et Islande, jusqu’ici distantes, s’intensifient et prennent un tour concret avec notamment l’organisation de colloques par la Chambre de Commerce Franco-islandaise. Le dernier a eu lieu à Paris le 16 avril 2015 en présence du Président Ólafur Ragnar Grímsson, de Laurent Fabius et de Ragnheiður Elín Árnadóttir, Ministre de l’Industrie. Le thème choisi – la géothermie – fournit l’occasion d’approfondir avec la signature d’accords entre les Universités d’Islande et de Strasbourg une coopération déjà engagée.
En venant en Islande les 29 et 30 juillet la ministre française répondait à une invitation de son homologue islandaise. Cette visite a été l’occasion de la signature sous l’égide de la Chambre de Commerce Franco-islandaise d’accords entre les clusters français et islandais de la géothermie, jetant les bases d’une véritable coopération industrielle.
Et ce n’est pas fini puisque le président Hollande se rendra en Islande en octobre à l’occasion de la conférence « Arctic Circle » dans le cadre de la préparation de la Cop 21.
Les Russes
Ils emplissent l’actualité du mois d’août quand on apprend que, mettant à exécution une menace brandie voici plusieurs mois, ils ont décidé de se passer de produits islandais, notamment le maquereau. Ils veulent ainsi punir l’Islande, avec l’Albanie, le Liechtenstein, le Montenegro et l’Ukraine, de leur participation au boycott décidé par l’Union européenne et l’OTAN. Les estimations des conséquences varient, allant du dramatique au rassurant mais il est certain que les grands armateurs ainsi que certaines villes vivant de la pêche seront affectés.
Au-delà des conséquences économiques, l’irruption intempestive des Russes est un énorme pavé dans la mare. Elle jette une lumière crue sur la politique extérieure de l’Islande, et ce à plusieurs niveaux :
* celui de la prise de décisions et de la place qu’y occupent certains lobbies,
* celui de l’absence d’une vision claire et partagée sur la place de l’Islande dans le monde,
*celui d’institutions dont la vie repose essentiellement sur le compromis, alors qu’une politique extérieure est faite de choix
Les migrants
Les migrants fournissent une autre illustration de l’attitude des Islandais vis-à-vis du monde extérieur. Après les Russes, ils font irruption dans la presse des derniers jours d’août. Le Premier Ministre Sigmundur Davíð (Parti du Progrès)
Sigmundur Davíð
avait décidé fin juillet que son pays recevrait 50 d’entre eux en deux années. Levers de boucliers : ce n’est pas assez ! Les diverses municipalités se disent prêtes à faire des propositions. Sur la page Facebook «Kæra Eygló Harðar – Sýrland kallar » (« Chère Eygló Harðar – Ministre des Affaires Sociales – la Syrie appelle ») ce sont 5000 Syriens que l’on se dit prêts à accueillir… La Croix-Rouge reçoit la candidature de 700 bénévoles prêts à favoriser cet accueil, et une multitude de fournitures ! Tous les « saumaklúbbar » (clubs de couture) sont engagés dans la confection de vêtements chauds ! Rappel : les Islandais sont 330000, soit 1 pour 200 Français et pour 1000 Européens…
Actualité économique
Qu‘il s’agisse de la levée du contrôle des changes, ou des augmentations de salaire, Már Guðmundsson, Président de la Banque Centrale (BCI), est inquiet. Il est le gardien du niveau des prix et a pour mission de les maintenir en dessous de 2.5%. Dès le 10 juin, le taux de base bancaire est porté à 5% (+ 0.5%) puis à 5.5%, et ce n’est pas la dernière augmentation.
Pourtant le 29 juin la banque centrale se félicite de la progression de la note de Moody’s, de Baa2 à Baa3 ; de la même manière qu’elle peut être satisfaite du commentaire positif du FMI.
Il est vrai que les prévisions confortent la satisfaction qu’expriment en toutes occasions les membres de la majorité, notamment les présidents des deux partis : progression du PNB de 4.1% en 2015, portée par l’investissement (+18.2%) et la demande intérieure (+6.1%), et malgré cela une balance commerciale à l’équilibre. Pourtant des nuages sont apparus pendant l’été, inattendus comme le boycott russe ou la fermeture du marché nigérian, attendus comme la reprise de l’inflation après les accords salariaux signés au printemps ; auxquels il faut ajouter des alertes comme la chute de certains cours mondiaux du poisson et ceux de l’aluminium. Certains projets industriels devraient être revus.
Autres :
Grande journaliste, francophile et francophone, Elín Pálmadóttir est connue pour ses travaux sur ces pêcheurs partis de côtes françaises pour pêcher autour de l’Islande, et dont 4000 ne seraient pas revenus. C’était une belle idée de l’Ambassade de France de la décorer de la Légion d’Honneur sur la goélette « l’Etoile », mais la météo en a décidé autrement. C’est donc le Musée Maritime de Reykjavík qui a été choisi.
Pendant ce temps la vie continue :
* 04/06 : la police de la région sud de l’Islande a en un an distribué 800 contraventions pour non respect du code de la route, dont environ la moitié à des conducteurs étrangers ; faudrait-il traduire les panneaux ?
* 12/06 : en football, l’Islande a raison de la Tchécoslovaquie 2-1. Sûr que la présence de Sigmundur Davíð et Bjarni alors qu’ils étaient attendus à l’Alþingi y a contribué !
* 25/06 : Páll Valur Björnsson, député d’ »Avenir Radieux » veut que chaque session de l’Alþingi débute par une chanson ; nul doute que son parti va ainsi enfin bousculer les sondages !
* 26/06 : Ragnhildur Jónsdóttir, seule Islandaise à croire aux Elfes, est mécontente du projet de construction de l’aéroport domestique sur le Hvassahraun, car on y dérangerait « ses » Elfes. Elle propose de le construire ailleurs ; mais ne dit-elle pas que les Elfes et leurs compagnons hantent toute l’île ?
* 25.08 – le jour le plus chaud de l’été : 18° à Reykjavík, dont les piscines et la plage ont été prises d’assaut,
* 28.08 – pour la « Menningarnótt » (Nuit de la culture) 120000 personnes défilent sous la pluie…