Actualités : mars -juin 2015

 

Les pages ci-dessous doivent beaucoup aux travaux et à la vigilance de Jacques Mer, que je remercie ici. Mais, évidemment, ils n’engagent que ma seule responsabilité. Ce texte a été terminé le 4 juin2015. Pour les événements intervenus depuis, certainement nombreux, je vous renvoie au site de notre association France-Islande et à celui de l’Ambassade d’Islande en France.

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Eruptions :

A peine Holuhraun a-t-il cessé de cracher gaz et laves, avec les conséquences rapportées dans le dernier Courrier, qu’une autre éruption vient troubler l’actualité islandaise, politique cette fois : celle des Pirates ! Partis de 5.1% et donc trois députés, aux élections de 2013, les voici crédités de 30% d’intentions de vote par les sondages, à la grande surprise des observateurs les plus sérieux, même le rédacteur de ces lignes !  Comme pour toute éruption il y avait des signes avant-coureurs fidèlement rapportés ici, mais rien ne laissait présager le doublement des intentions de vote en un mois. Pour que le Parti des Pirates devienne selon certains sondages le premier parti politique de l’île, devant le Parti de l’Indépendance, il a fallu une lettre de Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Etrangères (Parti du Progrès), remise le 12 mars à son homologue lituanien – la Lituanie assure la présidence de l’UE – lui annonçant que l’Islande ne veut plus adhérer à l’UE,

La lettre de Gunnar Bragi

On attendait depuis plusieurs mois le dépôt d’une motion autorisant le Ministre à stopper le processus d’adhésion à l’UE engagé en juillet 2009, cette même motion qu’il avait dû retirer au printemps 2014 après que des milliers de manifestants aient rappelé aux deux partis au pouvoir leur engagement d’organiser un référendum sur le sujet. Voici que Gunnar Bragi prend tout le monde de vitesse : il n’y aura pas de référendum, pas même de vote d’une motion à l’Alþingi. L’opposition paraît désemparée. Sa première réaction est d’envoyer une « contre-lettre » à l’UE dans laquelle elle dénonce le procédé : « le gouvernement n’a l’accord ni du parlement ni du peuple pour changer la position de l’Islande vis à vis de l’Union Européenne dans le sens indiqué dans la lettre du ministre ». Les dirigeants de l’UE considèrent eux aussi que les formes n’ont pas été respectées mais doivent prendre acte de la décision sans surprise du gouvernement islandais.

Le 12 mars au soir quelques centaines de personnes bravent la tempête pour protester devant l’Alþingi. Le samedi suivant, entre deux tempêtes, ils sont 8000, manifestant plus pour la démocratie que pour l’adhésion à l’UE. Mais à ce jour aucune autre manifestation n’est organisée. Gunnar Bragi paraît avoir gagné, mais à quel prix ?

Partis politiques : redistribution ?

Depuis mars et l’éruption des Pirates, les tendances ont été confirmées : selon un sondage du 20 mai, les Pirates sont maintenant à 31.4% (5.1% au à l’élection législative d’avril 2013), alors que le Parti du Progrès – parti du Premier Ministre et du Ministre des Affaires Etrangères – fait le chemin inverse : 8.6% contre 24.4% voici deux ans. Avec 23.4% (25.5% lors de l’élection) le Parti de l’Indépendance est exactement à son niveau des élections perdues de 2009 alors qu’il était considéré comme responsable de la crise. Mais, à l’exception des Pirates, les partis d’opposition ne profitent pas de la situation : 15.5% pour l’Alliance Social-démocrate (12.9% en 2013), 10.8% pour la Gauche Verte (10.9% en 2013), et 6.2% (8.3% en 2013 pour Avenir Radieux. Comme les Pirates, ce dernier est un « nouveau parti » mais sa faible activité et quelques dissensions internes ont entraîné un véritable déversement d’électeurs potentiels vers le parti du « Capitaine » Birgitta Jónsdóttir.

Les grèves :

Ce n’est pas seulement dans les sondages que les électeurs islandais expriment leur mécontentement, mais aussi dans les grèves, qui se multiplient tout au long d’avril et mai.

Le système syndical salarié est complexe, associant à la fois des organisations locales et des organisations professionnelles et même une puissante fédération des diplômés de l’enseignement supérieur.  Les organisations de salariés du secteur privé sont presque toutes rattachées à l’ASÍ, celles du secteur publique au BSRB, mais d’importantes fédérations sont indépendantes, telles celles des enseignants,  des personnels hospitaliers ou des salariés des banques.

Le plus souvent des accords « au sommet » ont été négociés par ces deux confédérations et SA, fédération des syndicats d’employeurs, ainsi l’Accord de Stabilité signé en juin 2009 pour 3 ans, et que l’on peut considérer comme l’un des principaux facteurs de la sortie de crise.  En décembre 2013, sous la pression du gouvernement, un accord national est signé pour un an limitant les augmentations à 2.8% afin de ne pas relancer l’inflation. Mais cet accord est très contesté par la base ; près de la moitié des organisations rattachées à l’ASÍ le récusent et négocient directement avec les employeurs de leur secteur.

Compte tenu de cette expérience, et s’abritant derrière le non respect des engagements gouvernementaux, l’ASÍ laisse chaque fédération négocier de son coté. Les revendications, qui concernent environ 130000 salariés, vont de 17 à 70% d’augmentation, avec la demande de porter le salaire minimal à 300000 Ikr (2000€) ; ce qui est jugé irréaliste par les fédérations patronales. Conformément à la loi, les litiges doivent être soumis au Médiateur National ; c’est seulement en cas d’échec que la grève peut être décidée, à la majorité des adhérents au syndicat concerné. Fin mai pourtant un accord signé avec les plus importantes fédérations du secteur privé permet d’espérer la fin des conflits, alors qu’on commence à s’inquiéter pour la saison touristique. Il faut pour cela que le gouvernement s’engage sur une importante réduction d’impôts pour les revenus modestes et une meilleure maîtrise des loyers.

En fait c’est à une véritable crise de confiance que l’on assiste. Là où les trois parties prenantes (employeurs, employés et gouvernement) avaient su conjuguer leurs efforts en 2009 pour parvenir à l’Accord de Stabilité, tout semble s’être délité. Phénomène classique de sortie de crise ?  Certainement, mais les promesses démagogiques du Premier Ministre, plus chef d’un parti en perdition que chef de gouvernement, et l’attitude hautaine du Ministre des Finances et président du Parti de l’Indépendance, sont pour beaucoup dans le climat actuel. Ce qui permet de qualifier ces mouvements sociaux de « politiques ».

La situation économique :

 Car le gouvernement peut mettre en avant que la situation économique, même encore fragile, est bonne et que les salariés en ont reçu une part. Sous l’effet des augmentations accordées au cours des mois passés, les salaires étaient en avril 2015 supérieurs de 5.2% à ceux d’avril 2014 et de 10.2% à ceux d’avril 2014. Comme les prix restent étonnamment sages (hormis l’immobilier), le pouvoir d’achat des salariés a progressé de 3.7% depuis avril 2014 et 6.2% depuis avril 2013.

Après un repli à 1.9% pour 2014, le PNB est attendu à 3.8% pour 2015 et 3.2% en 2016, porté par un accroissement de l’investissement. Pour ce qui concerne le commerce extérieur, malgré un ralentissement des exportations (-3.3%) en prix courants mais une progression des importations de biens de 2.8% et, le solde pour 2014 reste légèrement positif. La tendance est la même pour les premiers mois de 2015.

Quant au chômage, il est stabilisé autour de 4,5%. Reste encore en suspens le démantèlement du contrôle des changes, qui devrait faire l’objet d’une loi dont la discussion à l’Alþingi est sans arrêt repoussée.

Relations internationales :

Donc les négociations d’adhésion à l’UE sont officiellement rompues, mais le gouvernement garde le souci de préserver des relations étroites avec les pays membres, dont la France. Ainsi le 16 avril a lieu dans les locaux de la Chambre de Commerce de Paris un colloque sur la géothermie organisé à l’initiative de la Chambre de Commerce Franco-Islandaise (FRÍS) en collaboration avec les deux ambassades. Ce colloque, qui associe des professionnels islandais et français, est introduit par le Président Ólafur Ragnar Grímsson et clos par Monsieur Laurent Fabius. Le lendemain le Président islandais rencontre son homologue français. Celui-ci accepte une invitation à se rendre en Islande en octobre 2015 à l’occasion de la Conférence « Arctic Circle ».

Le 18 mai, c’est Gunnar Bragi Sveinsson qui conduit la délégation des trois pays de l’AELE au conseil de l’Espace Economique Européen réuni sous la présidence de la ministre lettonne des Affaires Européennes. Où il est évidemment question de renforcement des relations, alors que l’UE s’interroge sur ces trois pays qui ne sont ne dehors ni dedans.

Le 21 mai Gunnar Bragi  rencontre John Kerry, Secrétaire d’Etat américain. Le principal thème de la rencontre est la coopération arctique, mais les ministres saisissent cette occasion pour faire un tour d’horizon des relations internationales. Et constatent qu’ils restent en désaccord sur la chasse à la baleine…

Actualité culturelle :

En mars, le Théâtre National reprend « Fjalla Eyvindur », certainement l’œuvre théâtrale la plus célèbre du répertoire dramatique islandais : « notre Hamlet », comme dit Stefán Hallur Stefánsson qui tient le rôle principal. L’auteur en est Jóhann Sigurjónsson (1880-1919). Écrite en 1911 la pièce relate la vie de hors la loi (15 ans d’une fuite de 40 ans !) de Fjalla-Eyvindur Jónsson, rejoint par Halla Jónsdóttir. En ce que cette dernière a bien plus de caractère que son compagnon, elle est souvent considérée, selon Nina Dögg Filippusdóttir qui en joue le rôle, comme une représentation de la femme islandaise…

L’autre évènement du trimestre se déroule à Cannes : pour la première fois le cinéma islandais est primé : « Hrútar » (Béliers) de Grímur Hákonarson remporte le Prix du Jury « Un certain regard ». Une sombre histoire de rivalités entre frères, qui se déroule dans l’Islande profonde, mais aurait, selon les critiques, apporté une « fraîcheur » bienvenue sur la Croisette.

Mais la vie continue…

Tout mars, comme les mois précédents, la neige tombe et le vent souffle… avec une mention spéciale pour le 13 mars, où les vents ont atteint dans le centre 73m/s (soit 263 km/h) ! et souvent dépassé 30m/s ailleurs !

26.03 – après une bataille de plus de 30 ans avec les autorités de son pays, Jón Gnarr (Jón Gunnar Kristinsson), ancien Maire de Reykjavík, obtient d’un tribunal de Houston le droit de s’appeler Jón Gnarr,

« Terre de contrastes… » : s’il est bien une qualification éculée de l’Islande, c’est celle-ci !  Et pourtant :

14.05 – selon le World Happiness Report, les Islandais sont le peuple le plus heureux au monde quasi ex-æquo avec les Suisses ; viennent ensuite les Danois et les Norvégiens. Les Français sont au 29ème rang, après les Qataris, mais avant les Argentins,

27.05 – selon le météorologue Trausti Jónsson, le mois de mai 2015 a été le plus froid depuis 1979, soit 1.9° à Reykjavík. Et rien n’indique que juillet sera différent, soit 8.3 cette année là. Heureusement, la météo n’est pas une science exacte, fût-ce en Islande…

D’où cette lancinante question : faut-il avoir froid pour être heureux ?

 

 

[1] Alþýðusamband Íslands : Confédération islandaise du peuple

[2] Bandalag Starfsmanna Ríkis og Bæja : Alliance des salaries de l’Etat et des collectivités territoriales

[3] Samtök Atvinnulífsins :