Chronique islandaise – mars 2016 – 2

Chronique islandaise – mars 2016 – 2

Ces lignes sont le résultat de lectures, de suggestions et d’informations que je peux obtenir autour de moi, mais elles n’engagent que ma seule responsabilité.

Michel Sallé

« Wintris » – saison 2

Je rappelle la saison 1 :

Mi mars Anna Sigurlaug Pálsdóttir, épouse de Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, Premier Ministre , reconnaît être propriétaire de Wintris, un fond de 1.2 milliards d’Ikr (8.35 millions d’euros) domicilié dans l’une des Îles Vierges. Que l’épouse du Premier Ministre soit une riche héritière, fille de l’ancien propriétaire de la concession Toyota en Islande, est bien connu. Personne n’y trouve à redire ; en Islande il n’est pas malséant d’être riche…

Pourtant deux questions sont posées :

– pourquoi Sigmundur Davíð n’a-t-il pas fait état de ce fond dans la déclaration de ressources qu’il devait faire lorsqu’il a été élu à l’Alþingi en 2009 ?

– comment ce pourfendeur de l’euro a-t-il pu laisser son épouse déposer ses économies dans un fond en euros ?

Pendant un temps, Sigmundur Davíð reste impavide face à des attaques de plus en plus violentes. Puis le couple fait feu de tous bois, ensemble ou séparément :

– rien n’obligeait Sigmundur Davíð à déclarer une ressource qui n’est pas la sienne, d’autant qu’en 2009 Anna Sigurlaug et lui étaient concubins,

– les gains de Anna Sigurlaug sont régulièrement imposés en Islande,

– l’euro ? « Anna Sigurlaug et moi avons pensé qu’il n’était pas heureux que la femme du Premier Ministre fasse des investissements en Islande ou profite du dispositif mis en place par la Banque Centrale pour le rapatriement de fonds investis à l’étranger ».

Rien d’illégal apparemment, mais une grosse faute politique. L’opposition évoque l’idée d’un vote de défiance à l’égard du Premier Ministre, voire une dissolution du parlement. Les dirigeants de la majorité sont partagés, même au sein du Parti du Progrès que Sigmundur Davíð préside. Fin mars aucune décision n’a été prise. Il y a deux freins :

– à qui profiterait une crise politique ? Hormis les Pirates, les partis de l’opposition sont au plus bas comme l’est le Parti du Progrès,

– plusieurs dirigeants du Parti de l’Indépendance et de l’Alliance Social-démocrate sont mal à l’aise car la liste HSBC des comptes en Suisse que détient l’administration fiscale1 commencerait à « fuiter ». Bjarni Benediktsson et Ólöf Nordal, respectivement Président et Vice-Présidente du Parti de l’Indépendance et les plus importants ministres du gouvernement, doivent reconnaître qu’ils sont eux aussi titulaires de comptes off shore.

La saison 2 éclate alors que la première n’est pas achevée : Sigmundur Davíð se trouve en bonne place sur les « Panama papers »2, seul chef d’état ou de gouvernement d’Europe occidentale aux cotés de personnages aussi recommandables que tels dictateurs d’Afrique, du Moyen Orient ou d’Amérique du Sud

L’indignation est générale :

– Sigmundur Davíð a menti : il possédait 50% de Wintris jusqu’à ce qu’il vende ses parts à son épouse pour 1 $ symbolique en janvier 2009,

– Pire : les Islandais n’apprécient pas du tout de faire l’actualité mondiale sur un tel sujet !

Le Premier Ministre se défend mal, est agressif avec les journalistes islandais et étrangers. Pourtant la réponse politique mise en oeuvre, certainement oeuvre du Président Ólafur Ragnar Grímsson, l’épargne largement :

– Il ne démissionne pas mais choisit de « se mettre à l’écart » en tant que Premier Ministre, et reste président du Parti du Progrès,

– Il est remplacé par Sigurður Ingi Jóhannsson, auparavant Ministre de la Pêche et de l’Agriculture, fidèle d’entre les fidèles, mais dont le parcours ministériel n’a pas soulevé l’enthousiasme,

– Sigurður Ingi est lui-même remplacé par Gunnar Bragi Sveinsson, auparavant Ministre des Affaires Etrangères. Ce départ est il le prix exigé par le Parti de l’Indépendance pour accepter ces changements ? Les armateurs qui soutiennent le parti ne pardonnent pas à Gunnar Bragi sa décision d’associer l’Islande au boycott des produits russes décidé par l’UE,

SI  Sigurður Ingi

– Lilja Dögg Alfreðsdóttir, conseillère très proche de l’ancien Premier Ministre, mais non élue, devient Ministre des Affaires Etrangères,

– enfin et surtout, des élections législatives auront lieu en septembre, mais à une date non encore fixée.

Les partis d’opposition et les très nombreux manifestants de la Place Austurvöllur n’acceptent pas ce ravaudage dans lequel ils ne voient que les habituels arrangements entre amis. Ils exigent une dissolution immédiate de l’Alþingi.

22000 22000 !!!

En pratique il est malaisé d’organiser des élections législatives avant l’été car en Islande la composition des listes de candidats de chaque parti fait traditionnellement l’objet de « primaires » dans chaque circonscription. De plus l’élection du Président de la République est prévue pour le 25 juin.

Et surtout ce délai permet à chacun, quoiqu’il dise, de se préparer :

– panser les plaies des deux partis au pouvoir. Sigmundur Davið est-il à cet égard le mieux placé pour remettre en selle le Parti du Progrès ?

– permettre aux deux partis Gauche Verte et Alliance Social-démocrate de proposer une offre renouvelée,

– permettre aux Pirates de se transformer en parti de gouvernement, c’est à dire construire à partir des idées qu’ils défendent un programme original mais acceptable par un allié certainement nécessaire, et trouver au moins 25 personnes capables de siéger valablement à l’Alþingi.

Les sondeurs eux-mêmes sont désemparés :

– selon MMR3, ma source habituelle, le Parti du Progrès est à 8.7% d’intentions de vote (12.8%) et le Parti de l’Indépendance à 22.5% (23.4%). La situation profite à la Gauche Verte : 12.8% (7.8%) et à l’Alliance Social démocrate : 9.9% (7.8%). Les Pirates restent stables à 36.7% (37%),

– selon Fréttablaðið4, le Parti du Progrès est à 7.9% d’intentions de vote (12.8%) et le Parti de l’Indépendance à 21.6% (27.6%). La situation profite encore à la Gauche Verte : 11.2% (8.4%) et à l’Alliance Social démocrate : 10.2% (8.2%). Mais cette fois les Pirates progressent de 38.1% à 43%.

D’autres indications confirment que la Gauche Verte profite de la situation au moins autant que les Pirates. Mais si Katrín, sa présidente, est très populaire, il n’en va pas de même des « dinosaures » qui l’entourent.

Le gouvernement de Sigurður Ingi débute avec 26% d’opinions favorables…

semaine

quelle semaine !