Le nouveau gouvernement est (enfin) formé

“Það tókst, loksins” (Ça a enfin marché !) s’est écrié Bjarni Benediktsson, nouveau Premier Ministre, en annonçant le programme de son gouvernement ! Comme promis, je présente ce nouveau gouvernement et les principaux éléments de programme sur lequel il est engagé. Un accord n’était pas évident tant les valeurs et les programmes des trois partis, et surtout leurs poids relatifs, sont disparates. Et il reste encore beaucoup de flou !
En Islande bien des observateurs doutent de la pérennité de cette majorité ; j’en parle à la fin de ma chronique. A l’extérieur des esprits chagrins s’interrogent : écarter un Premier Ministre cité dans les Panama Papers pour en choisir un autre, cité lui aussi ?

Pour mémoire les élections législatives ont eu lieu le 29 octobre, et il est tout de suite apparu que la construction d’une majorité serait une entreprise ardue ; ce qu’elle a été en effet ! Il y avait deux solutions : majorité « de gauche » pour laquelle était nécessaire l’accord de cinq partis : Gauche Verte, Pirates, Alliance Social-démocrate, Redressement et Avenir Radieux (34 députés) ou majorité « de droite » avec encore Redressement et Avenir Radieux associés au Parti de l’Indépendance (31 députés). Après deux tentatives, la première solution a du être écartée malgré les renoncements des Pirates, tant la distance entre Redressement et la Gauche Verte paraissait difficilement franchissable !
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De g. à d., de haut en bas : Guðlaugur Þór Þórðarson, Þorsteinn Víglundsson, Jón Gunnarsson, Kristján Þór Júliusson, Þórdís Kolbrún Reykfjörð Gylfadóttir, Björt Ólafsdóttir, Þorgerður Katrín Gunnarsdóttir, Benedikt Jóhannesson, Bjarni Benediktsson, Óttarr Proppé, Sigríður Andersen

Le résultat obtenu est un gouvernement largement dominé par le Parti de l’Indépendance (6 ministres), surtout si l’on ajoute aux ministres, la présidence de l’Alþingi et celle des principales commissions parlementaires. Ce n’est pas illogique si l’on considère que le Parti de l’Indépendance dispose de 20 sièges à l’Alþingi, Redressement 7 et Avenir Radieux 4. Le risque pour ces deux derniers partis, dont l’un – Redressement – est né d’une scission pro-européenne du Parti de l’Indépendance, et l’autre se remet à peine d’une crise qui a failli le conduire à sa disparition, est d’être phagocytés et d’y perdre ce qu’ils ont pu créer d’identité. Ils en sont conscients et se sont manifestement attachés à obtenir les portefeuilles significatifs pour eux et des feuilles de route suffisamment claires pour que leur action ne soit pas contestée ultérieurement. C’est le cas notamment de la santé.
Le gouvernement est ainsi composé :

Pour le Parti de l’Indépendance :
Bjarni Benediktsson :Premier Ministre. Il était Ministre des Finances dans le précédent gouvernement,
Guðlaugur Þór Þórðarson : Ministre des Affaires Etrangères, connu pour ses positions anti UE,
Jón Gunnarsson, Ministre des Transports et de l’Aménagement du Territoire, rattaché au Ministère de l’Intérieur,
Kristján Þór Júliusson : Ministre de l’Education, auparavant Ministre de la Santé,
Sigríður Andersen : Ministre de l’Intérieur, qui remplace Ólöf Nordal, certainement trop malade,
Þórdís Kolbrún Reykfjörð Gylfadóttir : Ministre de l’Activité Economique, la plus jeune du gouvernement (29 ans), pour un poste très lourd incluant notamment le tourisme,
Pour Redressement :
Benedikt Jóhannesson, Ministre de l’Economie,
Þorgerður Katrín Gunnarsdóttir : Ministre de la Pêche et de l’Agriculture, ancienne Viceprésidente du Parti de l’Indépendance,
Þorsteinn Víglundsson : Ministre des Affaires Sociales,
Pour Avenir Radieux :
Björt Ólafsdóttir : Ministre de l’Environnement,
Óttarr Proppé : Ministre de la Santé. 

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Les présidents présentent leur projet

Je reviendrai autant que de besoin sur les parcours de ces ministres, ainsi que sur la répartition des responsabilités.
L’Accord de Législature, dont la rédaction a pris plusieurs jours mais à laquelle aucun des ministres n’a été associé en tant que tel, est un long document, très déséquilibré pour ce qui concerne les précisions. Vient en tête, et occupant une bonne part du texte, la Santé. Manifestement Óttarr Proppé a voulu que la très ambitieuse feuille de route négociée avec ses collègues soit aussi claire que possible.
On y aborde notamment l’accès aux soins et leur remboursement, ainsi que la répartition des structures de soins sur le territoire.
Autre sujet sur lequel l’accord insiste : la formation et le système éducatif.
Un certain nombre d’engagements sont pris sur des sujets jugés critiques pendant la campagne électorale : la réforme progressive du système des quotas de pêche, et la révision de l’Accord sur l’agriculture signé par le précédent gouvernement bien que très critiqué.
Compte tenu des positions très différentes des trois partis, il est vraisemblable que l’éventuel référendum sur la reprise des négociations ait fait l’objet d’âpres débats. Le résultat est une jolie pirouette : il reviendra à l’Alþingi de se prononcer, plutôt en fin de législature lorsque la situation de l’UE sera « plus claire » ( ?). Ceci est conforme à la constitution puisque l’organisation d’un référendum nécessite l’approbation de l’Alþingi mais aboutit en fait à transmettre la décision à la Gauche Verte, officiellement hostile à l’adhésion, mais partagée sur le principe d’un référendum !
Les dernières lignes sont consacrées à la réforme constitutionnelle ; très rapides…
D’ores et déjà les commentaires des uns et des autres montrent que bien des points doivent être clarifiés.
Beaucoup s’interrogent sur la durée de vie de ce gouvernement :
il n’a qu’une voix de majorité,
certains choix de ministres « interpellent », tel, à l’Intérieur, Sigríður, connue pour ses opinions d’extrême droite et devant conduire un ambitieux projet d’accueil d’immigrants, ou Þorgerður Katrín, archétype de la grande bourgeoise de Reykjavík, pour l’agriculture et la pêche au moment où les marins sont engagés dans une grève très dure,
des « éléphants » du Parti de l’Indépendance sont mécontents de voir insatisfaites leurs ambitions ministérielles au profit de femmes « inexpérimentées »,
Bjarni doit gérer une crise née de son « oubli » de communiquer avant les élections le rapport commandé par son ministère sur les fonds islandais cachés dans les paradis fiscaux.
Donc beaucoup de matière pour la chronique de fin janvier.
Michel Sallé