Actualités (décembre 2015)

Séra Valdimar Briem l’a écrit dès 1886 et les Islandais le chantent à l’église à minuit le 31 décembre sur une musique de Andreas Peter Berggreen : « nú árið er liðið í aldanna skaut / og aldrei það kemur til baka » (le lectorat de ces chroniques comprend des traducteurs de qualité ; j’ose néanmoins : « l’année a maintenant rejoint l’étreinte des siècles, / et jamais ne reviendra »). Le texte ne craint pas l’emphase, mais la musique est agréable, que vous pouvez écouter dans sa version classique (https://www.youtube.com/watch?v=DGd…) et une très jolie version moderne (https://www.youtube.com/watch?v=Rog…). Toutes deux nous invitent à la sérénité après une année 2015 de bruits et de fureurs, notamment en France.
En Islande, 2015 a été marquée par des conflits sociaux nombreux et durs ; il a fallu d’importantes concessions des employeurs publics et privés pour les éteindre ( ?), mais pouvait on à la fois se féliciter d’une exceptionnelle conjoncture économique et refuser à ses acteurs la part qu’ils jugeaient légitime ? Ces mêmes acteurs ont à leur tour su se montrer généreux en contraignant leur gouvernement à recevoir beaucoup plus d’immigrants que ce qu’il prévoyait.
Décembre n’a pas dérogé à la règle : mois de lumières et de fêtes. Pour confirmer cette tradition je citerai ici ma chronique de décembre 2010, la première à propos de Noël :
Car le mois de décembre est en Islande celui de la nuit, qu’il faut éclairer de toutes les manières possibles. Les aurores boréales peuvent apporter le plus bel éclairage qui soit, mais elles exigent bien des conditions pour se laisser voir et sont le plus souvent discrètes. La lune ? Parfois, bien sur, mais voici que décembre 2010 a été marqué par une éclipse totale de notre satellite !
Restent les maisons, et c’est pourquoi Noël commence début décembre et ne finira qu’en janvier ! Un seul Père Noël ne saurait suffire… il y en aura donc 13 (treize !), dont tout ami de l’Islande doit connaître la liste par cœur, et qui font leur visite à raison d’un par jour jusqu’au 24 décembre. Heureux les petits Islandais ? Pas sûr : ces Pères Noël ne sont pas toujours sympathiques tant ils adorent faire des farces. Stekkjarstaur arrive le premier, droit comme un piquet, et se précipite dans la bergerie pour boire le lait des brebis. Le second est Giljagaur friand de la mousse du lait de vache… Et ainsi jusqu’à Ketkrókur, le douzième, qui essaie d’attraper par la cheminée la viande fumée bouillant dans une marmite. Quant à Kertasníkir, le dernier, il vole aux enfants ces bougies qui dans le passé étaient leurs seuls cadeaux !
Grýla leur mère, Leppalúði, son troisième mari, et Jólakötturinn (le chat de Noël) ne valent pas mieux. Car Grýla est une ogresse qui entend les enfants peu sages où qu’ils soient, les attrape, les met dans sa hotte, pour, au motif qu’elle est toujours affamée, les consommer une fois revenue dans son repère ! Et Jólakötturinn emporte les enfants qui n’ont pas reçu de cadeaux…
En dépit de ces menaces les faibles humains préparent la fête, nettoient leur maison de la cave au grenier, composent toutes sortes de gâteaux, et évidemment (98% selon une étude récente !) achètent des cadeaux. A la table du réveillon, il y aura du porc fumé ou du renne ou peut être des perdrix blanches. Le lendemain sera servi le « hangikjöt » (gigot d’agneau fumé) qui est à lui seul une raison de prendre l’avion pour l’île…
La continuité est aussi dans le menu des repas. Comme les années passées, la moitié des Islandais ont mangé du « hamborgarhryggur » (carré de porc fumé) au réveillon et 75% du « hangikjöt » au repas de Noël (sondage MMR).
Malgré les chapardages de 13 Pères Noël, il reste aux enfants islandais et à leurs parents de nombreux cadeaux, à base de Star Wars pour les garçons et de Reine des Neiges pour les filles, et de smartphones pour tous.
Le choix de Ólafur Ragnar Grímsson
Pour faire place à Noël et ses festivités, l’actualité politique est mise en sourdine après le vote du budget. Au lieu des intentions de vote, MMR sonde les projets gastronomiques des électeurs. Même les vœux du Premier Ministre passent inaperçus. Il est vrai qu’il ne surprend personne en redisant combien les Islandais doivent être fiers de si bien vivre sur leur île. Ce que confirme le Bureau des Statistiques.
Mais la trêve est terminée dès le 1er janvier lorsque, à l’occasion de son allocution de vœux le Président Ólafur Ragnar Grímsson lève le suspense sur ses intentions : il ne se présentera pas pour un sixième mandat.
Pourquoi ? (voir http://english.forseti.is/media/PDF…) : « Oui, beaucoup d’années sont passées, à une vitesse étonnante : temps de défis difficiles, de joies et aussi de chagrins ; beaucoup de choses ont pris un autre aspect depuis que Guðrún Katrín (Guðrún Katrín Þorbergsdóttir, décédée le 12 octobre 1998) et moi sommes arrivés ici. [… ] Les nombreuses incertitudes (ORG cite Icesave, les débats autour de l’adhésion à l’UE, la levée du contrôle des changes, les projets de développement du référendum…) qui, voici quatre ans, avaient provoqué des appels à prolonger mon mandat, ont aujourd’hui heureusement disparu. […] A la lumière de cette description, et en référence à cette démocratie qui est le fondement de notre vie nationale, je crois le moment venu de transférer les responsabilités de président sur d’autres épaules, et ai donc décidé de ne pas me représenter. »
Faut-il croire ORG ? Il a tenu le même discours voici quatre ans, pour ensuite revenir sur sa décision après avoir été sollicité par une pétition opportune. Celui-ci est scrupuleusement examiné par des exégètes ; la plupart penchent vers le « oui »…
Qui va s’y risquer ? Des candidats se sont déjà manifestés, peu crédibles. D’autres ? Par la durée (20 ans !), ses décisions concernant Icesave, ses transgressions par rapport au rôle traditionnel des présidents islandais, et aussi la stature internationale qu’il a su acquérir, Ólafur Ragnar a profondément transformé la réalité de la fonction, et volontairement ou non, montré combien elle est déséquilibrée. Malheureusement les projets de réforme constitutionnelle semblent l’ignorer, peut-être parce qu’il faudrait alors revoir complètement l’équilibre des pouvoirs. J’y reviendrai.
Actualité économique
Comme prévu le PNB a progressé de 4.5% au cours des 9 premiers mois de 2015. Ce résultat est d’autant plus intéressant qu’il repose à la fois sur la progression de la consommation (4.4%), de l’investissement (15.8), et celle du commerce extérieur.
J’ai déjà relevé que l’importation de produits augmente plus vite que l’exportation ; on voit sur le graphique ci-contre que ce déséquilibre est largement compensé par le solde positif de la balance des services.
Le chômage est stabilisé autour de 3,5% et les prix restent étonnamment sages, en partie à cause de la bonne tenue de la couronne : il faut 141.7 Ikr pour 1 euro contre 154.7 voici un an.
Alors, bien sur, le Français jaloux cherche des ombres :
  • les généreuses augmentations de salaire consenties au début de l’été n’ont pas encore produit tous leurs effets sur la consommation interne et le niveau des prix,
  • la chute des cours de l’aluminium conduit à s’interroger sur la pertinence de certains projets industriels, et les producteurs à exercer une intense pression sur leurs fournisseurs d’énergie, qui ont pourtant consenti des conditions très avantageuses,
  • le succès des négociations avec les « anciennes » banques, préalables à la levée du contrôle des changes, n’est pas encore assuré.
Et, aux confins de l’économique et du politique, reste bien sur le problème de la monnaie.
Relations internationales : l’Islande et l’UE
Le coût de la couronne
Publiée début décembre, une étude réalisée par le périodique économique « Vísbending » estime que l’utilisation de la couronne coûte 1 million Ikr (7000€) par an à chaque foyer. Ce calcul repose sur une évaluation du montant des intérêts payés pour les emprunts publics et privés contractés en monnaie locale, comparés à ce qu’ils seraient pour des emprunts en devises. Une telle évaluation peut certainement être discutée, mais il est clair que la monnaie est le talon d’Achille de l’économie islandaise, tant celle-ci repose sur le commerce.
Le boycott russe
C’est précisément cette caractéristique qui conduit les exportateurs de poisson à critiquer à nouveau (voir chronique de août 2015) la décision islandaise de soutenir la boycott européen des produits russes. Curieusement (ou non ?) ni Sigmundur Davíð ni Bjarni, présidents des deux partis au gouvernement, ne viennent soutenir Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Etrangères, pour une décision qu’il n’a certainement pas prise seul !
Actualité sociale
Les grèves
2015 a été marqué par un nombre exceptionnel de grèves ou menaces de grève. Au printemps/été 2015 54 syndicats avaient menacé de lancer une grève. Le Médiateur national est intervenu dans 57 cas et a pu ainsi limiter le nombre de grèves ou en raccourcir la durée. Il est vrai que les concessions ont été importantes, de l’ordre de 30 à 40% en 3 ans selon les niveaux de rémunération.
Accueil des réfugiés
J’ai dit ici comment l’accueil de réfugiés avait été considéré comme un devoir national par la plupart des Islandais, contraignant ainsi le gouvernement à se montrer beaucoup plus généreux que ce qu’il avait prévu (voir chronique d’août 2015). De nombreuses familles à travers toute l’île ont proposé de leur ouvrir leurs portes, et aussi :
  • 12000 Islandais suivent la page Facebook « Sýrland kallar ! » (la Syrie nous appelle !) ouverte par Bryndis Björgvinsdóttir,
  • des concerts sont organisés pour leur venir en aide,
  • les salariés du laboratoire Actavis viennent à leur rencontre lors d’une fête de Noël organisée à leur intention en liaison avec la Croix-Rouge,
  • IKEA annonce qu’il fera un don de 100000 Ikr à chaque réfugié, quelque soit son âge, pour l’équipement de son logement, et contribuera au maximum à leur insertion professionnelle.
Tout n’est pas si simple : deux familles albanaises, installées en Islande depuis deux ans se voient refuser un permis de séjour par le Bureau de l’Immigration au motif qu’il s’agit d’immigrés « économiques », et sont immédiatement expulsées avec d’autres alors qu’elles ont chacune un enfant atteint d’une très grave maladie. La fin est un conte de Noël : à l’initiative de l’employeur de l’un d’eux, une pétition est lancée qui recueille 6000 signatures en quelques heures, et l’Alþingi ajoute immédiatement les familles à la loi qu’il vote en fin d’année pour accorder la nationalité islandaise. Les voici de retour en Islande.
Actualité Culturelle
Où les Islandais se tournent à la fois vers leur passé et vers la mode :
La mode est celle des séries télévisées, dans lesquelles les cousins scandinaves ont acquis un savoir-faire reconnu. L’Islande de se joint au mouvement avec « Ófærð », première série islandaise à vocation internationale, produite par Baltasar Kormákur, et qui devrait atteindre la France dans le courant 2016. Le 27 décembre 128000 Islandais (50% de la population de l’île, alors que la série est interdite aux moins de 16 ans !) étaient devant leur récepteur TV pour assister à la découverte d’un cadavre dans un village côtier !
Le passé est revisité par Mickaël Torfason et þorleifur Arnar Arnarsson pour produire un spectacle sur le thème de la Saga de Njáll le Brûlé présenté en première le 30 décembre au Borgarleikhús. La chorégraphie est de Erna Ómarsdóttir. Pour elle la musique et la dance peuvent mieux encore que l’écrit mettre en évidence certains passages de la saga ; elle cite notamment le célèbre passage où Hallgerður refuse de donner un cheveu à Gunnar, son mari, pour qu’il bande son arc, précipitant ainsi sa mort !
Et la vie continue…
… presque chaque jour…
… le 28 décembre, à Eskifjörður (est) après le passage d’une tempête…