C'est plus fort qu'elle, c'est compulsif, elle n'y peut rien ...
... et rien ne peut l'en empêcher ...
Depuis des années, et au cours de nombreux voyages en Islande, je ne compte plus les pianos, les harmoniums et orgues d'église qui ont résonné sous ses doigts dans l'air glacé.
Il faut dire que tout semble l'inviter ... Partout, jusque dans les moindres hameaux, parfois même à côté d'une ferme isolée, on trouve une petite église, pimpante et bien entretenue. Parfois au milieu de nulle part.
On se gare devant la porte, à côté du minuscule cimetiere. En général c'est ouvert et il n'y a personne. Il y a presque toujours des fleurs devant l'autel, mais dès l'entrée son regard cherche autre chose : il y a presque toujours un clavier quelque part.
Le plus souvent il est dans le choeur, parfois dans une petite chapelle latérale, parfois caché tout en haut d'un escalier étroit qui mène à une minuscule galerie surplombant la nef de poupée ...
Alors commence le rituel ... Dans l'air glacé de la petite église s'envolent les arpèges d'un prélude de Bach, bondissent les cascades d'une rhapsodie de Listz, ou se glisse la beauté pure d'un thème d'Elton John ... Les notes s'envolent et remplissent l'espace, magnifiées par l'acoustique des murs lambrissés.
Ma pianiste préférée n'a pas de partition. Elle murmure les notes dans sa tête et de ses lèvres s'échappe parfois une imperceptible vapeur. Les premières notes déroulées, les premiers accords plaqués dans cet air vif, c'est l'instant magique. L'émotion d'un partage, la main effleurée d'un premier amour.
Mais cet instant de pur bonheur, c'est aussi le moment du danger ... Car il y a presque toujours quelqu'un qui habite à proximité ... et qui entend. Quelqu'un qui s'inquiète et se hâte de venir voir ce qui se passe dans la maison du bon Dieu dont il a la garde. Je n'en suis pas sûr, mais je me suis souvent demandé si ce "risque" n'était pas une composante subtile du plaisir.
Le voici qui arrive ... fermier retraité, sacristain ou pasteur luthérien. Difficile de savoir qui a l'air le plus embarrassé ... Les arpèges se posent, le silence revient ... Un sourire et un bonjour sont bientôt échangés, des excuses murmurées.
L'histoire se termine toujours bien ... Pour peu qu'il parle anglais, quelques échanges sur la musique, sur la petite église qui sent bon la cire, la vallée ou le fjord si jolis alentour, et puis parfois un autre morceau, juste pour le plaisir, pour le partage ...
Jusqu'à la prochaine petite église, demain peut-être, ou l'an prochain, près d'ici, ou trés loin ...
Compulsif, vous disais-je ...Chris.
... Après six tournées triomphales dans les innombrables petites églises d'Islande, elle a récidivé cette année aux îles Féroé ... 
